Parmi toutes les guerres et grandes batailles connues à ce jour, il y en a plus d’une dont personne ne parle mais à laquelle beaucoup d’entre nous participent. Ces agents de l’ombre, chargés de mission « spéciales » sont des hommes sévèrement sélectionnés, durement entraînés, au physique et au mental d’acier. Comme la plupart des espions et autres agents secrets me direz-vous. Pourtant vous ne savez rien de ce qu’ils endurent lors de leur sélection, ni lors de leurs missions. C’est pourquoi je me permets de vous livrer cet extrait d’un témoignage, concernant l’une des ces guerres ignorées, que j’ai pu recueillir et qui, je l’espère, vous fera comprendre l’importance de telles personnes dans notre société.

 

« Il est 08h30, j’ai peu dormi. Mais l’épreuve de survie en milieu hostile vient de se terminer. Tous les participants n’ont pas réussi, certains n’ont jamais atteints le lieu de rendez-vous, d’autres l’ont trouvés trop tard et les plus malheureux ont été dévorés par la jungle qui nous entoure. Je jette un oeil sur mes trop nombreux adversaires, il y en a quelques uns qui sont épuisés mais la plupart sont encore vigoureux. Ou, en tous cas, ne montrent pas leur fatigue. Mais la sueur perle et les mains tremblent, chacun sait quelle est la prochaine épreuve. Les regards, parfois haineux, se croisent et se jaugent : serais-je assez fort ? Quelle est la meilleure stratégie à adopter ? La tension est palpable et le meilleur des westerns ne pourrait rendre une telle hargne dans le duel, les muscles n’attendent que la petite décharge émanant du cerveau pour libérer toute leur puissance car pour ce nouveau test, seules comptent la force et l’agilité. Pour ma part, je sais pertinemment que je n’ai pas la moindre chance sur le plan brutal mais je saurai repérer la faille lorsqu’elle apparaîtra. Car il y a toujours une faille. Le tout étant de bien l’exploiter.

L’odeur de la bataille à venir me soulève le cœur et je chasse quelques pensées morbides. Les survivants s’agglutinent devant la grille, il est l’heure. Et le sang va couler à nouveau. Comme tous les autres, mes esprit se concentrent sur l’objectif : le Bâtiment. Je dois l’atteindre. Je dois l’atteindre. Ce leitmotiv résonne dans mon crâne comme une propagande de Rael. Je tâtonne des mains pour vérifier les sangles de mon sac à dos, il est impensable que le perde maintenant, pas après tout ce que j’ai surmonté. J’observe les uns puis les autres, l’immense Goliath à gauche passera sans problèmes, il est peut-être judicieux de me placer non loin afin de profiter de sa masse pour percer le barrage. A quelques mètres sur ma droite, j’en vois trois qui s’allient. Mais ils ne sont pas naïfs, ils savent que c’est chacun sa gueule. Le premier à trahir leur union aura sa chance, les autres seront oubliés. Disparus au champ d’horreur.

La grille se lève. L’ordre est donné. Et commence alors l’une des plus féroce bataille que l’humanité ait connue. Face à ça, le débarquement en Normandie ressemble à un concours de politesse. Les nerfs explosent de violence et tout le monde se rue. Il n’y a ni considération, ni pitié. Les plus faibles sont écrasés. Tandis que les cadavres s’entassent et que les blessés hurlent et pleurent, les premiers atteignent le point d’extraction. J’ai réussi mon coup, le géant a fait son boulot de rouleau compresseur sans m’apercevoir et j’ai pu me faufiler. Je suis couvert de sang mais après une rapide inspection, il ne s’agit pas du mien. Des mes mains moites et souillées, je m’empare du Trophée. L’officier en charge de la surveillance de l’épreuve me le remet, comme aux peu de vainqueurs de l’épreuve. Aucun discours, aucunes félicitations pourtant ce morceau de papier représente tout ce pourquoi j’ai lutté jusqu’ici. Mais ce n’est pas officiel et je le sais, part un simple regard et le simple geste de me remettre mon titre, nous passons un pacte.

Et je suis désormais un agent de l’Etat.

J’accède à la salle de repos, le Hall Of Fame des survivants. Fébrile, je pose enfin les yeux sur la preuve de ma réussite. Preuve qui sera détruite d’ici quelques minutes, c’est pourquoi je dois le mémoriser rapidement car, bien entendu, tout ceci n’a jamais eu lieu et je suis un soldat qui n’existe pas. Tout y est inscrit, le nom de l’agence qui m’emploie, le service pour lequel je risquerais désormais ma vie, mon nom de code, la date à laquelle j’ai été admis ainsi que mon rang de vainqueur. Je suis apparemment le sixième à avoir réussi aujourd’hui. Tout en enregistrant ces informations, je ne peux m’empêcher de penser à un film vu dans ma jeunesse, et à une scène en particulier : lorsque Will Smith devient « L’Agent J ». Ici, pas de lettre mais un numéro. Même si je doute que tous les agents qui m’ont précédés sont encore en activités, je suis fier de porter le mien. Pour mes missions, je ne serai plus E**** (Nda : je me suis permis de masquer son nom afin de préserver son secret et, ainsi, sa santé) mais simplement « 259 ». Un moyen plus que fiable pour garantir mon anonymat et une certaine sécurité dans la vie civile.

Je relève les yeux et constate que tous mes nouveaux compagnons de guerre, il y a si peu de temps adversaires forcenés, ont également appris leur matricule. Nos regards se croisent à nouveaux mais il n’y a plus de provocation ou de fureur, plutôt un sourire fatigué mais que je vois sincère. Je me relâche et souris à mon tour, puis l’on m’appelle pour mettre véritablement fin à toute cette série d’épreuves. Un officier me reçoit dans son bureau. C’est une femme d’une quarantaine d’années. Contrairement aux nouveaux membres, elle n’est pas souriante. Mais n’est pas désagréable non plus. Simplement stoïque. Elle a du en voir trop pour ressentir encore quoi que ce soit. Sans un mot, je lui tends mon papier qu’elle fait disparaître puis j’ouvre mon sac et en ressort l’enveloppe que l’on nous avait remis au tout début, nous indiquant qu’elle était primordial pour l’admission totale et définitive au sein du service. Lorsqu’elle l’ouvre et la vide devant moi, je me rends compte qu’il s’agit de mon dossier personnel, contenant toutes les informations existantes sur ma vie : nom et prénoms, adresse, numéro de téléphone, photos, factures, tout y est. Ils ont fait parvenir les dossiers directement par les candidats sans qu’ils le sachent. Ainsi, lorsque l’un d’entre eux disparaissait, il l’était totalement, aucune preuve ne restait. Astucieux.

Avant de me faire signe de partir, j’entends enfin des mots qui apaisent mon cœur et mon corps meurtris : « Votre Permis de Conduire vous sera directement envoyé chez vous, il ne sera pas nécessaire de revenir à la Préfecture. Bonne journée monsieur. J’appelle le 260 s’il vous plait ! »

 

Je conclurais en vous demandant de respecter une minute de silence pour les soldats du quotidien tombés au combat, je vous demanderais également de m’excuser de n’avoir pu fournir de témoignage aussi poignant concernant le service des cartes grises mais je n’ai trouvé aucun survivant, de même pour tout ce qui touche au retrait de colis à la Poste (dont j’ai d’ailleurs reçu des menaces de mort lorsque je creusais un peu trop). Je tiens également à remercier E**** dont je suis sans nouvelle depuis notre rencontre et vous avertir que participer aux Guerres Ignorées, c’est tout un art.

 

 

 

                                                                                                                                 Eldey H.